Sublimer l’art de recevoir, avec simplicité et authenticité

Sophie Wilhelm, directrice de l’office du tourisme de Lens Liévin et de l’Académie de l’hospitalité, nous partage sa vision et son ambition pour ce projet porteur de belles valeurs, à quelques mois de son ouverture.
Sophie Wilhelm, vous avez été nommée à la direction de l’office du tourisme de Lens-Liévin en 2017. En tant que professionnelle du tourisme, qu’est-ce qui vous a attiré sur le territoire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, au cœur du Bassin minier ?
Ce que j’ai aimé, d’emblée, sur ce territoire, c’est l’enjeu. Un territoire qui, durement touché par la crise industrielle, par la fermeture des mines, a l’audace de postuler pour accueillir un musée de l’envergure du Louvre, c’est nécessairement un territoire qui a de l’ambition ; un territoire où il est possible de penser autrement le développement touristique.
Ensuite, il me fallait déceler comment faire émerger une politique de développement touristique, sur ce territoire qui, de prime abord, n’a pas d’histoire avec le tourisme. En matière de stratégie touristique, on a souvent tendance à envisager en premier lieu les infrastructures et les équipements, et de diagnostiquer ensuite l’état de l’offre. Ici, il fallait m’y prendre autrement. J’ai donc pris le temps d’explorer, de m’entretenir avec les acteurs locaux et les habitants. Et, ce qui m’a immédiatement interpellé, c’est la qualité d’hospitalité de ce territoire et de ses habitants. J’ai compris alors que c’est cette hospitalité qui fait le lien entre le territoire et le tourisme.
Un territoire marqué par la résilience et l’audace : c’est ici que l’hospitalité devient le cœur de notre stratégie. Le défi ? Transformer un territoire sans tradition touristique en un modèle d’hospitalité ancrée dans l’humain et le partage.
Comment avez-vous construit une stratégie touristique, en partant de cette simple notion d’hospitalité ?
L’hospitalité de ce territoire s’incarne dans la relation à l’autre ; c’est-à-dire la capacité à accueillir avec de petits gestes simples et généreux, de petites attentions désintéressées. Nous sommes loin de l’idée d’un développement touristique au sens premier du terme. Pourtant, c’est ce qui fait vraiment la spécificité du bassin minier.
L’enjeu a donc été de créer un concept touristique qui favorise la rencontre. Dans tous les projets que j’ai été amenée à mettre en place depuis 2017, j’ai souhaité que la rencontre soit au cœur du dispositif. Quelques rendez-vous sont devenus emblématiques de cette démarche, tels que « les apéros bière-fromage » où les touristes sont invités à découvrir un lieu touristique autour d’une bière et d’un fromage, à découvrir les savoir-faire locaux et échanger avec les producteurs. Les habitants s’inscrivent également à ces rencontres conviviales. C’est ce brassage qui devient alors intéressant et favorise des moments de partage entre les habitants, les acteurs du territoire et les touristes. Finalement, c’est de cette rencontre que naît l’expérience touristique dont on garde le plus fort souvenir.
À l’Office de Tourisme de Lens-Liévin, on ne se contente pas d’accueillir. On tisse des liens, on partage des moments, on crée des souvenirs.
Quel est le lieu qui, selon vous, symbolise le mieux ce concept touristique basé sur la rencontre ?
Le lieu emblématique qui incarne le mieux cette politique de développement touristique, c’est sans doute notre office du tourisme, installé dans un ancien magasin de porcelaine appelé « La ville de Limoges ». À l’origine, c’était un magasin de vaisselle très réputé, un lieu qui sublimait l’art de recevoir. Fin 2017, la CALL m’a proposé de disposer de ce magasin. C’était une opportunité incroyable. Il s’agit d’un bâtiment avec une très belle façade Art Déco, situé en plein centre-ville. Derrière cette façade se cachent 1500 m², un espace assez ambitieux pour un office du tourisme. J’ai réfléchi à un projet d’office de tourisme vraiment différent. Un office qui nous permette de poursuivre la vocation première de ce lieu : sublimer l’art de recevoir, mais par le prisme des rencontres. Un office qui nous permette de faire du tourisme « autrement ».
Sublimer l’art de recevoir, ce n’est pas qu’une mission. C’est une promesse, une ambition pour tout un territoire.
Faire du tourisme « autrement » ?
Oui, « autrement ». Ce qui signifie pour moi ne pas se tenir à ce qui se fait habituellement, sortir des cases, des schémas habituels. Oser hybrider des modes de pensée et des secteurs d’activité. Sortir des frontières habituelles de nos métiers, et parfois de nos territoires, pour inventer de nouvelles manières de faire du développement touristique et économique, de façon aussi inclusive que possible. « Autrement », c’est impliquer l’ensemble des parties prenantes, aussi bien les acteurs économiques, culturels, touristiques, les habitants, les hôteliers, les restaurateurs. Et imaginer ensemble un mode de développement vertueux.
Faire du tourisme autrement, c’est oser hybrider les idées, impliquer chacun, et inventer un avenir inclusif
Comment cela se traduit-il concrètement dans votre Office du tourisme « La ville de limoges » ?
Avec l’ensemble des équipes, nous avons créé un endroit où vous pouvez prendre le temps de vous poser et de discuter. Que vous soyez un touriste, un habitant, un professionnel en activité. Je voulais que ce lieu soit accueillant et favorise la rencontre. Aussi, vous n’êtes pas accueilli derrière un comptoir, mais autour de ce que j’appelle une « table relationnelle ». Nos agents d’accueil prennent le temps de s’asseoir avec vous et de vous présenter le territoire.
Lens-Liévin, l’hospitalité n’est pas une stratégie. C’est une identité, une culture, un trésor que nous partageons avec les touristes.
L’idée était de penser cet office de tourisme avec la notion d’hospitalité au cœur, un peu comme une conciergerie touristique, afin de favoriser la rencontre et de s’adapter aux usages des touristes et des habitants. Que ce soit pour un rendez-vous d’affaires, une visite d’exposition, ou un match de football, l’objectif était de mettre en place tous les services nécessaires. Nous avons choisi de mutualiser notre salle de réunion pour qu’elle devienne un espace de coworking, d’accueillir toujours de la vaisselle parce que c’est la vocation de ce lieu, en intégrant notamment une ressourcerie où l’on peut racheter de la vaisselle vintage. Lors de votre venue à l’office, vous croisez un habitant venu récupérer son panier de légumes en circuit-court. Vous croisez également un professionnel du territoire venu organiser une réunion dans notre espace de coworking. Ou un habitant venu se renseigner sur la prochaine exposition au Louvre-Lens. Autant d’occasion de partages.
L’hospitalité, c’est une attention juste au bon moment. Ce sont ces petites choses simples qui laissent une empreinte durable.
C’est donc autant un lieu de proximité, de services aux habitants, qu’un office de tourisme ?
Oui, ce concept favorise les rencontres et incarne concrètement cet esprit d’hospitalité du territoire. Vous êtes également gratifiés de petites attentions, tels que la location de vélos et de trottinettes, mais aussi le prêt de parapluies. Tout cela peut paraître anecdotique mais ce sont toutes ces initiatives mises bout à bout qui incarnent finalement l’hospitalité : l’attention juste, au moment où vous en avez vraiment besoin. C’est sans doute cela que l’on retient d’un séjour. Je dirais que notre office du tourisme, tel qu’il a été imaginé dans ce bâtiment mythique « La ville de Limoges », est porteur de toutes les valeurs et de toutes les ambitions que nous avons pour ce territoire.
Notre Office de Tourisme est bien plus qu’un lieu : c’est une invitation à la rencontre, un espace où chaque visiteur devient acteur de l’expérience.
Et quelles sont les valeurs de ce territoire qui le distinguent ?
C’est un territoire fortement marqué par son histoire minière. Ici, l’effort et le travail restent des valeurs très fortes. C’est un territoire où nous avons appris à développer la solidarité et l’entraide, sans doute les deux valeurs les plus fondatrices. C’est aussi un lieu où l’on sait apprécier les plaisirs simples, tels que passer du temps en famille, entre amis, apprécier un match de football, boire une bière, manger des frites. Ce sont ces petits moments de vie que nous savons encore apprécier pleinement sur ce territoire.
Ici, la solidarité et l’entraide sont nos racines. Et les plaisirs simples, comme un match de football ou des frites entre amis, sont des trésors du quotidien.
Quelles sont les pépites du territoire que les touristes viennent découvrir ?
Le Louvre-Lens bien sûr. Mais aussi les sites de la Première Guerre mondiale, tels que Notre-Dame-de-Lorette et Vimy, qui sont vraiment des totems de ce territoire. Le patrimoine minier, aussi, est plus qu’un simple décor ; c’est une histoire en soi. Tout ici a un lien, de près ou de loin, avec la mine. C’est impressionnant de voir comment ces sites miniers, souvent reconvertis en sites culturels, sont aujourd’hui inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO et constituent un véritable levier d’attractivité pour le territoire. Il y a aussi Bollaert, stade mythique, et ses supporters, tout aussi mythiques, et solidaires dans les défaites comme dans les victoires. Comme disait un supporter, « dans le malheur ou dans la gloire, nous sommes là. » Au final, cela résume bien ce que nous cherchons à créer dans notre stratégie touristique. Ce territoire est toujours là, malgré ses multiples traumatismes, comme la Première Guerre mondiale et l’arrêt de l’exploitation minière. Ses habitants sont toujours là, avec du courage, de la résilience, et une capacité à innover dont ils n’ont pas toujours conscience.
Ici, chaque lieu raconte une histoire : du Louvre-Lens aux sites miniers classés à l’UNESCO, en passant par le mythique stade Bollaert, c’est un territoire de résilience où la mémoire se mêle à l’innovation.
Comment mettre en musique ces différents types de tourisme ?
Lorsque vous venez pour visiter le mythique stade Bollaert, il vous est impossible d’ignorer le patrimoine minier dont le RC Lens porte l’histoire et les valeurs. La même chose se produit depuis le Louvre-Lens : certains viennent pour la muséographie unique de la Galerie du Temps ou pour une exposition temporaire, puis ils sont immédiatement interpellés par l’histoire du territoire, l’architecture art déco de la ville de Lens, les stigmates de l’exploitation minière perceptibles dans la structure même de la ville. Il y a plusieurs portes d’entrée touristiques sur ce territoire : le Louvre-Lens, les sites de mémoire, la mine, le foot. Mais le fil conducteur reste le même. C’est celui dont on parle depuis le début : cette capacité à vous offrir des expériences qui, sur le plan émotionnel, sont extrêmement fortes.
Et les touristes, comment perçoivent-ils ce tourisme ?
Nous accueillons des visiteurs qui, souvent, ne savent pas qu’ils vont trouver ici un supplément d’âme. Dès qu’ils franchissent la porte d’entrée du Louvre-Lens, ils sont la plupart du temps assez étonnés par la qualité de l’accueil des agents de sécurité. Dès cet instant, et sans qu’on puisse vraiment l’expliquer, ils sentent qu’il y a quelque chose de différent ici. La manière dont on leur demande de poser leurs clés, de passer sous les portiques de sécurité, se fait avec une forme de bienveillance, avec un sourire qui les accueille véritablement. Et puis, cette expérience va se dérouler tout au long de la journée. Que ce soit dans les galeries où les médiateurs mènent la visite. Au restaurant où un habitant va se mêler à la discussion. A l’office du tourisme où les collègues partagent leurs liens avec le territoire, leurs histoires personnelles, racontent des anecdotes avec humour et générosité. Le soir, à la chambre d’hôte, où l’on vous propose de vous accompagner en voiture jusqu’à votre spectacle parce qu’on n’imagine pas une seule seconde vous laisser partir à pied sous la pluie. C’est ce que nous appelons « le sens de l’essentiel » et qui s’incarne dans la qualité des relations humaines et la qualité de l’accueil.
Chaque visite ici ouvre une porte sur l’histoire et l’âme d’un territoire. Ce fil conducteur, c’est l’émotion : celle qui relie le passé, le présent et les valeurs humaines qui animent nos expériences.
« Le sens de l’essentiel », c’est le slogan de votre politique touristique. Que représente-t-il ?
Ce territoire a le sens de l’essentiel. Ce sont toutes ces petites attentions qui le distinguent. Alors que vous venez uniquement pour voir une exposition au Louvre-Lens, vous repartez enrichi, certes d’un savoir, mais surtout d’un savoir-être. Vous repartez avec une petite part de la générosité de ce territoire, un supplément d’âme offert comme un cadeau. Un voyage, c’est aussi la transformation, l’initiation à autre chose. Sur ce territoire, nous espérons contribuer à transformer un peu les touristes, à leur partager une étincelle d’humanité, à leur offrir une expérience humaine différente de ce qu’ils peuvent vivre ailleurs. A les reconnecter à « l’essentiel ».
Ce qui distingue fondamentalement ce territoire d’un autre, c’est la spontanéité et la sincérité avec lesquelles toutes ces attentions sont données. Ce n’est pas une approche marketée ou calculée. Cela vient vraiment des racines et des valeurs profondes du territoire. C’est sincère, et c’est vraiment généreux.
Ici, l’essentiel n’est pas dans ce que vous voyez, mais dans ce que vous ressentez. Ce supplément d’âme, cette générosité sincère et spontanée, c’est le cadeau que ce territoire offre à chaque visiteur.
Comment avez-vous fait émerger toutes ces pépites, et réussi à les traduire dans une expérience touristique ?
Il y a eu une phase d’immersion où j’ai pris le temps d’être moi-même le touriste. Je suis originaire de la région Hauts-de-France, et pourtant je trouve que le bassin minier est un territoire qui a ses particularités, ses singularités, une culture qui lui est propre. J’ai sillonné le territoire, visité différents sites touristiques majeurs, évidemment le Louvre-Lens, mais également les sites de mémoire de la Première Guerre. J’ai rencontré beaucoup d’acteurs, des élus. Et j’ai été souvent surprise par leur humilité vis-à-vis d’un territoire qui possède des sites aussi magnifiques. Ça m’a vraiment interpellé. Quand on a le Louvre et de tels sites de mémoire, comment peut-on encore douter de l’attractivité de son territoire ? Cette humilité m’a beaucoup surprise, et en même temps, je me suis dit que c’était justement un excellent levier touristique. J’avais l’intuition que cette simplicité était une pépite extrêmement complexe à valoriser sans l’abîmer.
Valoriser un territoire aussi humble qu’exceptionnel, c’est tout l’enjeu : révéler sa richesse sans altérer sa simplicité, sublimer son authenticité pour en faire une force touristique unique.
Comment développer, valoriser et à la fois préserver cet art de la simplicité, dans ce qu’il a d’authentique, presque de fragile, sans arriver avec une stratégie touristique qui écrase tout ?
Les agences de communication avec lesquelles nous avions discuté de cette valeur fondamentale trouvaient très compliqué de communiquer sur la simplicité. Le concept pouvait paraître un peu plat, un peu creux. Pourtant, depuis le début, je suis convaincue que toute la richesse du territoire, et toute la richesse des relations humaines sur ce territoire, reposent sur ce concept de simplicité. Au fil des années, nous avons réussi à le mettre en musique. L’enjeu était de réussir à être dans l’évocation, sans artifices. En partageant les histoires authentiques et émouvantes de ce territoire sans en faire des produits marketing. En racontant l’histoire d’une famille sur les traces de son ancêtre qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale, venue chercher le nom de cet aïeul sur l’Anneau de la Mémoire. En créant une rencontre entre un habitant venu acheter de la vaisselle dans notre ressourcerie, et un touriste curieux de découvrir le territoire.
La simplicité, c’est tout un art : celui de raconter des histoires vraies, de créer des rencontres authentiques, et de laisser le territoire se révéler sans artifices.
Réunir toutes les conditions pour que ces moments de partage aient lieu, en somme.
Oui, sans artifices ni mises en scène. C’est une approche à la fois sensible et subtile. Nous devons rester discrets, en retrait, pour que ces rencontres aient lieu. Lorsque nous packageons des week-ends Bière-frite-foot, nous créons la cadre de l’expérience. Et ce sont les habitants qui font le reste, lors d’une rencontre devant la friterie ou dans les gradins du stade Bollaert. Ce sont ces rencontres qui créent une véritable expérience touristique. Nous sommes justes des facilitateurs.
Créer le cadre, puis laisser la magie opérer : ce sont les habitants, avec leur générosité et leur spontanéité, qui transforment chaque moment en une véritable expérience touristique.
Les habitants jouent donc un rôle clé dans l’expérience touristique à vos côtés.
Absolument. Je pense que les habitants sont très importants dans l’expérience touristique que nous offrons ici. Passer un séjour et ne pas avoir l’occasion de rencontrer, de parler ou d’interagir avec un habitant, c’est passer à côté de l’âme de ce territoire. Je ne dirais pas que les habitants jouent le jeu, car je pense qu’ils sont complices malgré eux. Ils sont naturellement ouverts aux autres, entrent facilement en contact. Nous, nous essayons d’être un peu le catalyseur qui assure que cette rencontre ait lieu. Ils ont un sens incroyable de l’hospitalité, une grande qualité de relation à l’autre.
Les habitants, avec leur générosité naturelle et leur ouverture, sont les gardiens de l’âme du territoire. Nous, nous sommes simplement là pour catalyser ces rencontres qui donnent tout leur sens à l’expérience touristique.
Vous parlez avec beaucoup d’émotion et d’engagement. On sent que c’est un territoire qui vous touche personnellement.
Ce territoire me touche parce qu’il y a des gens ici qui valent la peine que l’on travaille pour eux. Il me touche parce que c’est un territoire qui a été malmené à plusieurs reprises mais qui a su se relever. Ce qui m’anime, c’est de pouvoir redonner de la fierté à ses habitants, révéler à ce territoire ses immenses qualités et l’aider à s’engager vers un nouveau développement.
Ce territoire me touche profondément : pour sa résilience, pour ses habitants qui méritent qu’on travaille pour eux, et pour cette opportunité de redonner de la fierté à un lieu riche d’immenses qualités.
Justement, vous lancez un projet nommé l’Académie d’Hospitalité, qui sera inauguré en 2025
Ce projet fait suite aux premiers mois que j’ai passés sur le territoire. Dès le début, j’ai été amené à rencontrer des gens et à découvrir le territoire par moi-même. J’ai rapidement fait plusieurs constats qui devaient alimenter les axes prioritaires d’intervention en matière de développement touristique du territoire.
Parmi ces constats, comme je viens de vous l’expliquer, celui qui m’a vraiment marqué est cette qualité d’hospitalité que possèdent les habitants de ce territoire, une qualité bien au-dessus de la moyenne nationale. Dans le bassin minier, l’hospitalité est véritablement exceptionnelle.
En même temps, j’ai rapidement constaté des carences dans l’hôtellerie et la restauration, des difficultés notamment à trouver du personnel pour assurer les postes en service et en cuisine. Je me suis demandé comment faire en sorte que cette qualité d’hospitalité soit mise au profit de la filière hôtels-cafés-restaurants. Comment augmenter l’employabilité de personnes qui possèdent de telles qualités humaines mais peut-être pas les compétences nécessaires pour ces métiers ? L’objectif est de résoudre ce problème par le haut, en transformant ces carences en une véritable plus-value. Mais aussi de redorer l’attractivité de cette filière souvent réduite par les médias à ses contraintes horaires.
En septembre 2017, lorsque l’agglomération m’a fait visiter ce bâtiment merveilleux qu’est la Ville de Limoges, tout a pris sens : ce magasin de vaisselle, où la vocation était déjà de sublimer l’art de recevoir, ce lieu pouvait être la réponse à ces enjeux forts de développement touristique.
L’Académie de l’Hospitalité est née d’un constat simple mais puissant : ici, l’hospitalité est exceptionnelle, mais elle mérite d’être révélée et transformée en compétences professionnelles. Ce projet offre une réponse ambitieuse aux défis du secteur HCR tout en valorisant les qualités humaines uniques des habitants du bassin minier.
Les premières bases de l’Académie de l’Hospitalité ont donc été posées à ce moment-là précisément ?
Oui. Mais aménager 1500 m² ne se fait pas du jour au lendemain. Le projet a démarré par une première phase, destinée à accueillir l’office du tourisme. Cette phase a commencé début 2018 et s’est étendue jusqu’à 2019. Aujourd’hui, toute l’équipe est installée, et le concept fonctionne parfaitement bien.
La deuxième phase du projet, c’est celle dans laquelle nous entrons maintenant. Si le développement touristique doit être vertueux, il doit également toucher la population locale et les emplois que nous allons participer à créer dans les hôtels, cafés, et restaurants. Il s’agit de développer un espace dans lequel nous accompagnons la montée en compétence par de la formation aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Nous souhaitons donner envie aux habitants d’aller vers ces métiers, notamment ceux qui ont cette qualité d’hospitalité naturelle.
L’Académie de l’Hospitalité s’inscrit dans une ambition globale : transformer un lieu chargé d’histoire en un espace vivant où l’on forme, accompagne et valorise les qualités d’hospitalité des habitants.
Des travaux seront nécessaires pour transformer l’ancien appartement du propriétaire du magasin La Ville de Limoges en un meublé de tourisme. Nous allons relocaliser un véritable atelier de cuisine qui permettra d’apprendre les gestes de commis de cuisine. Une salle de réception qui permettra aux serveurs de s’entraîner. Nous installerons des chambres pour permettre au personnel de chambre d’apprendre les gestes techniques. Dans l’ensemble, il s’agira de comprendre tous les éléments qui constituent une expérience touristique réussie. L’idée est que ces ateliers, adossés et communiquant avec l’office du tourisme, ne fassent qu’un : une Académie de l’Hospitalité.
Est-ce une sorte de centre de formation aux métiers de l’hôtellerie restauration ?
Je dirais que c’est bien plus qu’un centre de formation ; c’est un démonstrateur et un incubateur. Dans ce lieu, les bénéficiaires pourront non seulement se former aux gestes techniques, mais ils seront également accompagnés dans leur insertion professionnelle.
C’est aussi un endroit où, le week-end, les touristes pourront séjourner dans un meublé conçu pour refléter les valeurs, l’identité et l’image du territoire. C’est un lieu où, demain, les porteurs de projets touristiques, comme les chambres d’hôtes, pourront venir pour s’inspirer et discuter avec les collègues sur la manière d’accueillir et de concevoir un lieu qui enrichit l’expérience touristique du territoire.
Un lieu où les hôteliers et restaurateurs pourront bénéficier de formations spécifiques, sur les produits du territoire notamment. Ils pourront valoriser leur savoir-faire à travers des masterclasses et des ateliers de cuisine. La particularité de tous ces projets est qu’ils brassent différents publics et favorisent la rencontre professionnelle.
Ce volet formation est particulièrement destiné à des publics éloignés de l’emploi, mais pas uniquement. Nous ciblons ceux qui possèdent une véritable vocation d’accueil, ceux qui ont un sens naturel de l’hospitalité et l’envie d’en faire leur métier. C’est cette qualité que nous souhaitons développer, car elle va aussi qualifier l’expérience vécue par les touristes dans nos hôtels et restaurants.
En résumé, je souhaite créer un véritable démonstrateur de l’hospitalité de notre territoire.
L’Académie de l’Hospitalité, c’est bien plus qu’un centre de formation : c’est un lieu de rencontres, d’inspiration et de transmission, au service de l’excellence touristique.
C’est intéressant cette idée d’aller chercher des personnes qui, comme vous le dites, ont cette vocation d’accueillir. Comment les repérer ?
En effet, tout l’intérêt de ce dispositif va résider dans la qualité du sourcing. Nous devons mettre en place un sourcing innovant pour identifier ces compétences interpersonnelles, ces « soft skills », chez nos demandeurs d’emploi. J’imagine un repas de quartier coorganisé avec des restaurateurs du territoire, des serveurs et des personnes actuellement bénéficiaires du RSA, sourcées par nos partenaires du département ou de France Travail. Lors de cet événement, on oublie qu’on est dans une recherche d’emploi ou qu’on manque de personnel, et on prend simplement du bon temps ensemble pour concevoir un repas à offrir à notre famille et à nos voisins.
Pendant ces moments, on peut observer qui a vraiment la fibre de l’accueil. Celui qui ne l’a pas, ce n’est pas grave : il aura vécu un bon moment et il cherchera peut-être d’autres aspirations professionnelles. Mais pour celui qui comprend ce qui se passe, qui montre de la complicité avec le chef ou avec l’autre serveur, cela peut révéler une vocation.
Repérer la vocation, c’est créer des moments authentiques où l’on observe, sans pression, qui a cette fibre naturelle pour accueillir et créer du lien.
C’est presque l’histoire d’une rencontre, là encore. Comment se déroule la suite ?
L’idée ensuite, c’est d’entrer dans un dispositif de formation et d’accompagnement. Tout est encore à écrire, mais nous voulons que l’ingénierie de formation soit aussi innovante. Nous avons la chance d’avoir sur ce territoire des talents, des expertises et des spécificités très fortes.
Je pense notamment à mon équipe de guides-conférenciers, qui sont des experts en médiation. Mais également aux médiateurs du Louvre-Lens. Comment utiliser cette expertise pour aider au service en salle ? Comment présenter un plat, une carte, donner envie, aider à comprendre un plat ? Cela relève de la médiation.
Je pense également au RCLens. Un service est un peu comme un match : au coup de sifflet, au coup de feu, l’organisation se met en place, chacun à sa place, rien n’est laissé au hasard. Il y a une énergie à insuffler, comme lors du coup d’envoi d’un match. Comment un coach expliquerait-il à une brigade ce qu’est un service, quelle énergie y mettre ?
Et puis, il y a la satisfaction du public à la fin. L’idée, c’est d’aller jusqu’aux applaudissements. Ce sont au final des métiers très gratifiants, dans le plaisir de donner du plaisir aux autres.
Pour moi, c’est tout cela qui doit être au cœur de ce dispositif de formation.
Former, c’est transformer : allier médiation, coordination et énergie pour faire de chaque service un moment aussi précis et gratifiant qu’un coup d’envoi réussi.
C’est vraiment un accompagnement qui sublime presque le métier de serveur et de cuisinier.
Oui. L’idée de ce dispositif, c’est de sublimer les personnes, c’est-à-dire de valoriser ceux qui ont parfois une estime de soi un peu basse, et de sublimer les métiers eux-mêmes. Je pense que c’est dans la rencontre de ces deux aspects que naîtra quelque chose de très spécial, en tout cas c’est ce que j’espère.
Vous semblez engager ces bénéficiaires, et le territoire tout entier, dans une sorte de mouvement de développement personnel. Que pensez-vous de cette comparaison ?
Tout le monde doit sortir grandi de cette expérience. Je suis d’accord, nous touchons vraiment à la question du développement à la fois personnel et collectif. Comment un territoire prend-il conscience de ses qualités et les transforme-t-il en levier de développement ? Comment rester fidèle à soi-même tout en prenant davantage conscience de ses valeurs intrinsèques et de sa singularité ? De même, à une autre échelle, comment des individus reprennent-ils confiance en eux, redécouvrent ou développent leur vocation ? Et comment tout cela contribue-t-il à améliorer leur quotidien ?
Lorsqu’on a la chance d’exercer un métier en accord avec ses valeurs, qui, en plus, apporte une reconnaissance immédiate, c’est très valorisant et gratifiant. C’est une spirale de développement personnelle et collective vertueuse.
Au final, c’est ce qui me plaît le plus dans mon métier : m’engager pour le développement personnel des territoires et des habitants.
Sublimer les personnes et les métiers, c’est créer une dynamique vertueuse où chacun, habitant comme territoire, prend conscience de sa valeur et de son grandeur.
Y aurait-il un côté un peu militant dans cette initiative ? Vous parliez tout à l’heure des médias qui montrent souvent les métiers de l’hôtellerie et de la restauration sous le prisme des contraintes horaires, des difficultés du métier. Alors que vous, vous parlez de valeur et d’engagement.
Effectivement, les médias et l’opinion publique ont une forte responsabilité dans la situation actuelle des métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Ils ont tendance à réduire ces métiers à l’idée d’un chef qui exploite son personnel, à des métiers très durs en termes de management, avec des horaires compliqués où l’on travaille le soir et le week-end. Mais moi, ce que je vois, ce sont des restaurateurs qui sont passionnés, qui sont des artistes capables de transformer des matières brutes en plats succulents. Je vois des serveurs qui prennent plaisir à venir à votre table, à vous présenter la carte, à vous aider à choisir une bière, à vous conseiller sur la suite de votre séjour, à s’occuper de vous pendant la durée de votre repas.
Ce que je vois aussi, ce sont souvent des lieux assez beaux. C’est quand même nettement plus agréable de travailler dans un bel hôtel ou un restaurant que dans un centre logistique. On touche aussi à des moments de vie qui sont des moments plutôt heureux, ou du moins des moments importants, des sortes de parenthèses dans des vies parfois un peu rudes. Et contribuer à cela, c’est aussi contribuer au bien-être des gens. Ces métiers sont très nobles.
Redonner ses lettres de noblesse aux métiers de l’hospitalité, c’est reconnaître leur rôle essentiel : sublimer des moments de vie, créer du lien et contribuer au bien-être de chacun.
Je suppose que vous ne portez pas cet ambitieux projet toute seule. Qui sont vos partenaires ?
Effectivement, aucun projet ne se porte seul, et celui-ci encore moins que les autres. Une fois l’idée émise, il était nécessaire de la confronter, de vérifier qu’elle n’était pas à côté de la plaque. Assez rapidement, j’ai eu l’opportunité de confronter cette idée avec des acteurs des secteurs que je connais bien, tels que la filière HCR, mais aussi d’autres que je connais moins bien. J’ai notamment approché des acteurs de l’emploi et de l’insertion pour apprendre à connaître leurs codes, leurs problématiques, et voir comment notre projet pourrait répondre à leurs besoins. Grâce à de premières collaborations, nous avons appris à nous apprivoiser. Au départ, pour des gens travaillant dans l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, l’idée qu’un office de tourisme se mêle de ces affaires pouvait sembler incongrue.
Pour ce projet, comme pour d’autres, ma démarche consiste souvent à aller à la rencontre des autres, écouter, essayer de comprendre où nos problématiques se croisent, et tenter une première action ensemble. C’est le fruit de cette action qui permet de progressivement faire bouger les choses.
Ce projet ambitieux est un véritable travail collectif : élus, acteurs de l’emploi, de la formation, et de la filière HCR unissent leurs forces pour transformer des idées en actions et des talents en réussites.
Quel bénéfice le touriste retirera-t-il de L’Académie de l’Hospitalité ?
Aujourd’hui, si nous n’intervenons pas sur les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, nous allons subir une perte d’offre. C’est-à-dire que la pénurie de main-d’œuvre qui touche ces secteurs entraîne une réduction des services et des amplitudes horaires. Le premier bénéfice pour le tourisme sera donc de maintenir des hôtels ouverts avec des plages horaires étendues, répondant mieux aux attentes des clients.
Deuxièmement, les touristes bénéficieront d’un personnel formé différemment, qui mettra l’hospitalité et l’accueil au cœur de sa pratique. Ce personnel embrassera aussi une dimension de développement territorial, renforçant ainsi l’attractivité du territoire. Il sera capable d’échanger avec les visiteurs, de promouvoir des sites locaux et de partager les valeurs et le patrimoine du territoire.
Pour un touriste, avoir un interlocuteur qui parle avec passion du territoire est inestimable.
Personnellement, je garde souvent un souvenir marquant des expériences où l’accueil est attentionné, avec des conseils ciblés qui enrichissent mon séjour. J’espère que, grâce à l’Académie de l’Hospitalité, nous ferons naître des vocations parmi nos habitants, pour qu’ils deviennent les ambassadeurs de leur territoire.
Grâce à l’Académie de l’Hospitalité, chaque touriste bénéficiera d’un accueil attentionné et passionné, porté par des ambassadeurs du territoire capables de sublimer leur séjour. C’est notre ambition.